Open Access Science : vers plus de liberté dans la diffusion scientifique
La science appartient aux chercheurs, et au-delà, à l'humanité toute entière. C'est à partir de cette constatation qu'un mouvement de fond s'est installé dans la communauté scientifique, mouvement visant à repenser les critères d'évaluation des scientifiques ainsi que les modes de publication des découvertes.
Par Jean-Etienne Poirrier (site)
Depuis les débuts des Sciences, les chercheurs ont cherché à partager leurs découvertes, à les confronter, à les critiquer. Après l'invention de l'imprimerie et la naissance des sociétés savantes, les scientifiques ont créé de nombreuses publications dans le but "de faire en sorte qu'il ne se passe rien, digne de la curiosité des gens de lettres, qu'on ne puisse apprendre dans ces journaux". La société civile évoluant, ses modes de fonctionnement se sont modifiés et la publication scientifique a bien du suivre : création de maisons d'édition scientifique commerciales, création d'outils de mesure "objective" des performances des revues comme des chercheurs, importance grandissante de la notion de propriété (copyright) sur le contenu des articles, etc.
Dans le monde informatique, les débat et prises de position sur la liberté et l'usage des logiciels ont débuté il y a une trentaine d'années. Le phénomène a pris de l'ampleur au début des années 1990 avec l'arrivée dans le grand public de "logiciels libres" comme GNU/Linux. Et, accompagnant ce mouvement, la question de la liberté de la documentation de ces logiciels s'est posée, entraînant la création de diverses licences libres (e.g. GNU FDL) ou plus ou moins libres/restrictives (cf. les licences Creative Commons, par exemple).
Cette montée en puissance de l'informatique libre, suivant la généralisation d'internet, a devancé de peu les remises en question du mode de publication scientifique. Je développerai ici la publication dans les sciences de la vie (biologie, médecine, environnement, etc.). Les autres disciplines sont soumises, à peu de choses près, aux mêmes règles et mêmes questions.
Un chercheur ayant découvert un fait nouveau se doit de le publier (généralement sous forme d'article) pour partager sa découverte mais également pour l'avancement de sa carrière, celle-ci évoluant selon le nombre de citations de son travail par ses pairs. Pour cela, notre chercheur doit envoyer son article à une maison d'édition scientifique et lui donner tous ses droits. Bien souvent, l'auteur doit également s'acquitter d'une somme substantielle couvrant divers frais de l'éditeur. Ce dernier se charge alors d'envoyer l'article aux pairs en leur demandant de le lire, le critiquer et de formuler d'éventuelles remarques, le tout bénévolement. Finalement, si tout se passe bien, l'éditeur met en page l'article, l'imprime dans une revue et vend cette revue aux bibliothèques (selon les disciplines, un abonnement peut atteindre 20 000 euros par an !).
Plusieurs facteurs viennent alimenter la recherche d'autres solutions à ce processus ... Tout d'abord, le prix des revues ne cesse d'augmenter, obligeant les bibliothèques à effectuer des choix dans les revues auxquelles s'abonner. Ensuite, par le jeu des fusions et acquisitions, un petit nombre d'éditeurs internationaux se retrouvent en situation de quasi-monopole. Afin de bénéficier de leurs offres groupées (incluant quelques revues phares et beaucoup d'autres moins prestigieuses et/ou plus pointues), les bibliothèques sont obligées de se grouper pour faire face aux frais et d'abandonner les abonnements chez d'autres éditeurs, plus petits. Certains auteurs se sont également émus de l'obligation de transfert (et d'abandon) des droits vers l'éditeur alors que bon nombre de ces découvertes sont issues de la recherche publique. Finalement, l'accès à internet permet d'autres modes de distribution, plus rapides, éventuellement moins chers (mais également soumis à d'autres écueils!).
Ces réflexions sont toujours en cours mais ont déjà donné quelques résultats concrets ... De plus en plus de journaux sont désormais disponibles gratuitement en ligne, les modalités d'accès variant de la mise à disposition complète dès publication en version papier ou après un certain délai à la publication uniquement électronique. Certains grands éditeurs, prudents, s'essaient à un accès libre réservé à certaines catégories de chercheurs (typiquement : ceux des pays en voie de développement) ou permettent aux auteurs de mettre sur internet l'avant-dernière dernière version de leur article. Cet accès gratuit est associé à une indexation, un archivage et la création d'archives institutionnelles selon des normes et protocoles établis (OAI-PMH, par exemple). Outre cet accès gratuit, quelques journaux laissent maintenant leurs droits aux auteurs.
Bien entendu, les éditeurs sont toujours confrontés aux même frais. Et là aussi, d'autres modèles se mettent en place ou ont déjà fait leurs preuves. La solution la plus simple est de reporter sur l'auteur les frais non couverts par les abonnements (inexistants). Bien qu'accompagné de certaines réserves (liées à l'impartialité, aux risques de fractures entre ceux qui peuvent payer ou pas, ...), cette solution ne devraient pas grever les budgets des institutions de recherche puisqu'il n'y a pas d'abonnement payant à ces revues. Mais d'autres solutions existent comme d'éditer une version papier payante en parallèle à une version électronique gratuite, ...
Dans le domaine des sciences de la vie, des organismes comme la Budapest Open Access Initiative, la Public Library of Science ou Biomed Central catalysent les réflexions, fédèrent les initiatives et créent des journaux basés sur ces modèles, des logiciels permettant de les gérer, etc. Un véritable modèle alternatif de publication, de type Open Source, existe donc pour la recherche scientifique. Il se développe et se précise tout en respectant le droit à la connaissance et les droits des chercheurs.
Ressources :
Posté le 3 mai 2005.
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