[NEWS] Microsoft terrassé : un fantasme sans cesse réactualisé
Dans son intéressant essai Le dernier dinosaure et les mares de goudron du destin, ou comment Linux écrasa MS-Windows [1], l'auteur Ross Nesbitt le prévoyait déjà : Linux aura raison de Windows, qui disparaîtra sur l'autel des standards ouverts et des logiciels libres... Plus récemment, c'était au tour d'un professeur de HEC -assisté d'un spécialiste en TIC- de remettre le couvert avec Microsoft pris dans la toile... chronique d'une mort annoncée [2]. Effet de mode ou analyse pertinente ?
Ce type d'essai, intéressant quand il est de qualité (c'est le cas des deux susnommés), doit cependant être lu avec un regard critique. En effet, bien que la concentration économique soit une tendance naturelle de l'économie (les entreprises les plus rentables entraînent la fermeture des moins rentables, rachètent des concurrents plus faibles ou fusionnent), les monopoles ne sont pas éternels. Néanmoins, la fin d'un monopole n'annonce pas forcément la fin de l'entreprise qui en était à l'origine !
Xerox et IBM : les monopoles ne sont pas éternels
Jusqu'au début des années 70, Xerox [3], fort de plus de 1700 brevets, réalisait environ 95% des ventes de photocopieurs aux USA. La justice américaine, suite à l'accusation d'abus de position dominante de la Federal Trade Commission en 1972, a mis fin à ce monopole et ouvert la porte à la concurrence japonaise (dont Ricoh), stimulant l'innovation (photocopieur couleur, par exemple) et réduisant les prix de vente. Fin des années septante, Xerox ne réalisait plus "que" 46% des ventes de photocopieurs aux USA (31% dans le bas de gamme). Il n'empêche : Xerox est toujours là 30 ans plus tard !
Pour la société IBM, c'est le marché qui a décidé ! En effet, la lucrative activité 'mainframe' (IBM faisait 80% des ventes de gros systèmes début des années 80 [3]) fut progressivement cannibalisée par l'ordinateur personnel (PC), qu'elle a contribué à populariser. Après avoir été leader sur le marché du PC, elle a souffert de la concurrence de sociétés plus réactives comme Compaq [4], puis Dell. Cependant, IBM, devenue société de services, reste vaillante et se profile même comme le leader sur le marché émergent des solutions basées Linux ! Bob Muglia, vice-président de Microsoft, ne déclarait-il d'ailleurs pas récemment : «IBM est notre seul concurrent vraiment sérieux» [5].
Microsoft en mutation
Bref, la société Microsoft se transformera certainement face à la concurrence des logiciels libres / Open Source (sous un titre à sensation, c'est d'ailleurs plutôt cela, le message de [2]). Cependant, l'entreprise de Redmond possède encore probablement de beaux jours devant elle !
Prenons d'ailleurs le cas de la défaite de Microsoft sur le marché des serveurs Web, souvent pris comme exemple par les défenseurs du logiciel libre [15]. Apache culmine à plus de 65% de parts de marché. Cependant, Microsoft conserve toujours un peu plus de 20% de parts de marché (après avoir culminé à près de 35%), malgré une piètre réputation en matière de performances et de sécurité. Défaite, certes, mais pas disparition du marché !
Trois tendances : fiabilisation, intégration et diversification
La politique de Microsoft est marquée par la fiabilisation, l'intégration et la diversification de ses produits.
- Windows et Office
Windows et Office sont aujourd'hui les deux lignes de produits les plus menacées (par Linux et Open Office)... à moyen / long terme ! Ce sont aussi les deux lignes qui génèrent la majeure partie des revenus et des bénéfices de l'entreprise* ! Windows poursuit son chemin de fiabilisation (meilleures stabilité et sécurité) et de diversification (versions pour l'embarqué notamment). Office est étroitement intégré à d'autres produits comme SharePoints pour le travail collaboratif ou Microsoft CRM pour la gestion d'entreprises [6].
- Outils de développement .Net
Dans ce domaine, la menace vient plus du monde Java en général (J2EE [19] versus .Net) que de l'Open Source en particulier. La communauté Open Source soutient à la fois les technologies Java (JBoss, Jonas, Geronimo, etc) et .Net, avec le projet Mono [20] (sponsorisé par Novell et relativement bien accepté par Microsoft). Microsoft mise principalement sur l'intégration de ses outils de développement, au travers de la plate-forme Visual Studio .Net : Ce qui est étonnant ici, c'est que Microsoft est unanimement apprécié pour cela, alors qu'elle est critiquée, voire assignée en justice pour ces mêmes pratiques en environnement desktop [21].
- Applications "métier"
Dans le domaine des ERP, la lutte concurrencielle a d'abord porté sur les grands comptes. Ce marché est aujourd'hui dominé par quelques éditeurs (SAP, Peoplesoft et Oracle) et arrive progressivement à saturation. Les choses pourraient cependant changer. En effet, les éditeurs d'ERP ciblent aujourd'hui le marché peu exploité des PME. Microsoft compte bien s'y faire une place, avec des outils tels que Navision. Microsoft bénéficie notamment de son excellente capacité à commercialiser et à populariser des solutions informatiques [10]. Le projet avorté de fusion Microsoft-SAP en dit long sur les ambitions de Redmond dans ce secteur [22]...
- Microsoft Network
Microsoft est aujourd'hui un des challengers les plus sérieux pour Google. Google possède une place très forte dans le domaine de la recherche : environ 70% des recherches en France passent par lui. MSN reste cependant dans le Top 5 des moteurs de recherche en France [9] et possède une bien meilleure part de marché aux Etats-Unis (près de 20% du marché, en croissance, derrière Yahoo! et Google [12]). Or, Microsoft travaille en ce moment sur son nouveau moteur de recherche (MSN Search), riche de 1 milliard de pages. Il prévoit à terme d'indexer 10 milliards de pages (reste à voir bien sûr la pertinence des résultats) [7] et parle d'intégrer son moteur de recherche à Windows (qui représente 95% du marché des postes de travail) [8]. Un scénario qui ne vous rappelle rien ? Ceux qui ont connu Netscape comprendront***... La lutte risque cependant d'être dure : l'entrée en bourse confère à Google de nouveaux moyens. Toujours innovant, Google ne manque par ailleurs pas de projets. Citons, en concurrence directe avec Microsoft : une technologie de recherches pour PC, une messagerie instantanée et, peut-être, son propre navigateur [23] !
Des marques d'ouverture... encore imparfaites !
Microsoft fait quelques timides efforts en direction du monde Open Source. Cependant, ces efforts ne convainquent pas, soient qu'ils relèvent de l'épreuve de force, soient qu'ils soient mal structurés.
Les produits Microsoft ne sont pas portés sous Linux. Seule exception notable : Mono. L'architecture .Net de Microsoft est en effet portée sous divers systèmes d'exploitation par une communauté de développeurs, aujourd'hui sponsorisée par Novell et plutôt bien tolérée par Microsoft.
Après avoir vertement critiqué la licence GPL, considérée comme virale, Microsoft a lancé le programme Shared Source, permettant un accès conditionnel aux sources d'un logiciel. Il constitue la réponse de Microsoft à l'Open Source. Les modalités du Shared Source ont été récemment clarifiées [14]. Sous la pression du marché (notamment le secteur public), le code source des logiciels Microsoft est progressivement ouvert. Le dernier en date : Microsoft Office [24]. Par ailleurs, plusieurs initiatives individuelles de publication de code sous licence Open Source CPL (Common Public Licence [25]) laisse penser que Microsoft teste en coulisse le principe du développement Open Source [17].
L'attitude évolue également face aux (tentatives de) défections de certains clients. Microsoft répond classiquement par des rabais spectaculaires, puisant dans son abondante trésorerie. Récemment, Microsoft a revu son attitude en refusant des rabais au gouvernement britannique. Microsoft lui a par contre proposé une gamme plus élargie de services et supports techniques aux administrations britanniques [13]. Microsoft, bientôt société de services... comme IBM ?
En matière de cohabitation avec la communauté Open Source, Microsoft doit donc encore clarifier sa position dans la durée.
Et si l'on regardait les faiblesses de l'Open Source ?
A force d'attendre la fin prochaine (?) de Microsoft****, on en viendrait presque à oublier les faiblesses de l'Open Source ! Nous pouvons en citer quelques-unes :
Certains produits présentent un caractère "générique". Ces clones de logiciels propriétaires atteignent souvent d'excellents niveaux de qualité (Open Office, Gimp, Linux,...)**. Cependant, ils se positionnent généralement trop tard pour inquiéter vraiment les entreprises propriétaires leaders du marché. Ces dernières sont par contre forcées d'innover et d'ajuster leurs prix, voire de se repositionner sur le marché.
A tort ou à raison, certains observateurs -parfois à l'intérieur même de la communauté (Bruce Perens, par exemple [27])- voient une réelle menace juridique planer sur les logiciels libres / Open Source : Linux enfreignant des brevets logiciels [16], menaces liées à des brevets pesant sur le projet Open Office [26], GPL jugée trop floue, multiplication possible des plaintes comme celles de SCO,...
Bref, en étant tendancieux, la fin de l'Open Source pourrait elle-aussi être prédite ! En réalité, l'évolution sera sans aucun doute plus longue et plus complexe.
Microsoft changera., comme Xerox ou IBM voici bien des années. Cependant, elle est encore loin l'époque où le géant de Redmond sera terrassé !
-----
* Pour information, Microsoft tire 46% des ses revenus de son logiciel Microsoft Office [11]...
** Tous ne sont pas des clones. De plus, l'élève finit parfois par dépasser le maître. La famille des outils Mozilla est ainsi reconnue pour sa qualité technique (sécurité, respect des standards,...) et ses innovations (navigation par onglet, bloqueur de popups, système anti-pourriel,...).
*** Le récente montée en puissance de MSN Messenger face à ICQ donne également une idée de la puissance de frappe de Microsoft, tant du point de vue technique que marketing (voir le comparatif [18], par exemple).
**** Et de ne regarder que les -nombreux- indicateurs positifs : parts de marché d'Apache, parts de marché de Linux sur serveurs, parts de marché de MySQL, rentabilité de MandrakeSoft, Red Hat,...
Sources :
[1] http://www.linux-france.org/article/these/(...)
[2] http://www.adullact.org/IMG/pdf/doc-157.pdf
[3] http://www.ecocentric.be/download/(...)
[4] http://www.logiciellibre.net/2003/news20031104.php
[5] http://www.zdnet.fr/actualites/technologie/(...)
[6] http://www.zdnet.fr/techupdate/applications/(...)
[7] http://www.vnunet.fr/svm/actu/article.htm?numero=(...)
[8] http://www.liberation.fr/page.php?(...)
[9] http://www.revue-referencement.com/CHIFFRESCLES/(...)
[10] http://www.logiciellibre.net/2004/(...)
[11] http://www.logiciellibre.net/2003/(...)
[12] http://www.journaldunet.com/cc/03_internetmonde/(...)
[13] http://www.logiciellibre.net/2004/(...)
[14] http://www.logiciellibre.net/2004/(...)
[15] http://www.logiciellibre.net/2004/(...)
[16] http://www.01net.com/article/249350.html
[17] http://solutions.journaldunet.com/0404/040407_microsoft.shtml
[18] http://guide.journaldunet.com/fiche/523/msn_messenger.html
[19] http://www.logiciellibre.net/newsletter/index200401.php
[20] http://www.mono-project.com/about/index.html
[21] Editorial - Corporate solutions, Datanews, 24 septembre 2004.
[22] http://www.lexpansion.com/compteur/compteur.asp?(...)
[23] http://www.logiciellibre.net/2004/shortnews20040922.php
[24] http://www.vnunet.fr/actu/article.htm?numero=12776&(...)
[25] http://www.fsf.org/philosophy/license-list(...)
[26] http://www.weblmi.com/news_store/2004_09_16_(...)
[27] http://www.osriskmanagement.com/press_release051004.pdf
Posté le 28 septembre 2004.
|